Le
recueil, écrit à la première personne, est une tentative ratée
de poétiser l'insomnie qui
s'éloigne clairement de toute vision romantique des nuits
blanches. Il s'agit plutôt d'un ensemble de réflexions autour de la
routine, de la place que l'on occupe dans le monde et de la lassitude
de l'existence. Pour y remédier, dans les premiers poèmes, Marlène
Tissot nous explique qu'il faut retrouver les sentiments et oser leur
redonner une place prépondérante
Il n'y a pas de formule magique
juste l'émotion à entretenir coûte que coûte
afin de ne plus considérer notre vie comme une compétition
perpétuelle qui ne mène que vers l'absurde.
En
parlant des sentiments, on ne se réfère pas seulement à l'amour,
car face aux règles complexes de celui-ci et à son instabilité, la
permanence des éléments (les nuages, les étoiles, le silence)
semble au début prévaloir sur notre insignifiance. Il s'agit, tout
au long des 62 poèmes, de trouver des repères car l'auteure est
perdue dans ce temps de l'éveil artificiel. Les heures avancent
sans moi
et tout peut s'écrouler sous le poids d'un seul mot. Devant cette
fragilité, il y a certes des tentatives pour faire appel à l'autre
alors tends-moi encore la main
même si j'ai peur de la prendre
mais le souci, finalement, consiste à être soi-même sans jouer un
rôle et à faire face au rire moqueur des autres, qui jugent sans
cesse tous ceux qui ressent trop fort, qui parlent trop fort, qui
sont trop sincères dans leur bonheur comme dans leur malaise.
Quel est alors le juste milieu, l'intervalle
étroit entre le tout et le rien nécessaire
pour être accepté et pour s'accepter soi-même ? Voici la
question essentielle de ce livre poignant, douloureux, d'une grande
intensité. Dans la recherche d'un point d'ancrage, on constate
l'insatisfaction face à un monde creux et absurde, où la
technologie ne fait qu'accroître la vacuité du présent. Et
pourtant, la poète ne se permet pas de regarder vers l'avenir pour
entamer une fuite éventuelle, car notre
seul futur, c'est le présent. Quel
refuge trouver alors, puisque rien ne semble sûr ? Certaines
propositions surgissent tout au long de la quête que révèlent les
poèmes :
-l'imposture : une
stratégie efficace / quand être soi devient insupportable
-le choix de la
facilité, pour participer au mouvement
/ se faire à l'idée d'être un vaut-rien
-la créativité, qui s'affirme comme un nécessaire contrepoids
devant la banalité d'une société aliénante
-le silence pour réinventer les choses et aspirer
à une hypothétique paix des méninges.
On peut toutefois se rendre compte à plusieurs reprises que le
silence peut être aussi une rage que l'on retient.
Malgré tout le recueil, né autour de l'anxiété et du mal de
vivre, nous laisse voir qu'il y a de l'espoir, même minime, car il
faut
recracher l'amertume
ne garder que le noyau d'une saveur
Et, somme toute, l'amour s'inscrit dans cette envie de continuer à
vivre, ou plutôt, l'attente de l'amour et des moments positifs où
l'on saurait que tout a valu la peine, même si on a toujours peur :
on ne cherche pas trop, non plus, c'est risqué
imagine, si par malheur on parvenait à être heureux
Marlène Tissot ne propose pas de réponses
toutes faites. Son style fuit tout classicisme, elle emmerde
la métrique des rimes et la frime lyrique,
mais Un jour, j'ai pas dormi de la
nuit est
cependant construit de façon rigoureuse, avec une structure précise
et équilibrée de chaque poème : quatre strophes à chaque
fois : les strophes un et trois -avec le même nombre de vers -
commencent par le vers qui donne son titre au livre, tel un miroir,
une cantilène ou un écho. Les strophes deux et quatre ont aussi une
construction parallèle quand au nombre de vers, et constituent un
corollaire, un commentaire ou un approfondissement de la réflexion
poétique. Le langage direct et évocateur s'appuie souvent sur
d'intéressants jeux de mots (les
moissonneuses boiteuses, je sais quand il est leurre, les fenêtres
sur cœur...)
qui montrent le souhait de l'auteure de tisser un monde poétique et
personnel fait de rapports nouveaux aux choses, aux autres, au
langage et, qui sait, à soi-même. Autant d'éléments qui font de
ce livre un véritable coup de poing.
Marlène Tissot,
Un jour, j'ai pas dormi de la
nuit,
La
boucherie littéraire, 2018
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