dimanche 4 juillet 2021

LE RING DU POETE, de RAMIRO OVIEDO

 

Dans son dernier ouvrage, Le ring du poète, le poète franco-équatorien Ramiro Oviedo invente, comme l'affirme Serge Pey dans la préface « un nouveau style dans l'histoire de la poésie : la poésie-entretien ». En effet, l'ouvrage est construit pour être au centre d'une performance dans laquelle Sébastien Kwiek, tel un annonceur du ring, pose une question au poète au début de chaque round. La première de cette performance ayant été annulée pour cause de Covid, nous avons entre nos mains un véritable manifeste dans lequel Oviedo décrit la poésie comme une lutte en faveur de la dignité humaine.


Comme à son habitude, l'auteur affirme son « goût du risque » et fait face à ses adversaires : les écrivains creux, les frimeurs, les frileux. « Pas de choc, pas de poème », nous dit le poète avant de monter sur le ring. On assiste alors à une démonstration de sincérité qui revendique à tout moment la valeur d'une poésie qui est conçue comme une arme ; mais en paraphrasant le célèbre vers de Gabriel Celaya, dans ce recueil la poésie est une arme chargée cette fois de présent, car


« Le poète monte sur le ring

Pas pour refaire le portrait à une vieille fille déprimée

Ni pour relooker une poésie sans âme

En phase terminale

Mais pour l'achever ».


La volonté et la détermination de l'écrivain se frayent un chemin malgré les blessures. Oviedo est conscient que la poésie engagée, la vraie, doit oublier les bonnes manières et chercher une vérité qu'actuellement on a du mal à oser regarder en face. La poésie « veut du sang pour inventer la lumière » et devient « de l'air pour mieux respirer ». Les vers du Ring du poète sont des entités individuelles et commencent tous par des majuscules, comme pour leur redonner de la force ; en même temps, le style de l'auteur, empreint d'oralité, nous rappelle son attachement pour un langage populaire qui déteste toute superficialité. Sans détours, Oviedo est clair avec nous : la poésie qui a du sens est celle qui ne se pince pas la nez « face à la puanteur ». Mais pour y parvenir, le poète doit rester lucide et ne jamais oublier qu'il a choisi une voie déraisonnable, difficile car exigeante. 

 



« Ce n'est pas avec de gros câlins

Ni avec une taffe de clope

Qu'on accroche le lecteur, mais à coups de pied ».


C'est pour cela qu'il faut à tout prix s'éloigner de la facilité, de l'esprit mercantiliste de beaucoup de recueils, même si


« C'est risqué d'écrire en bégayant

Sur l'autoroute bondée de poètes beaux

Gâtés par le marché ».


La critique se veut féroce, impitoyable, et on assène des coups contre tous ceux qui écrivent pour imiter de vieilles recettes ou pour ne rien dire, car


« Le poème creux est né creux

Déjà fané ».


Les textes richement ornés, les auteurs qui ne font que tournoyer autour des fleurs, des couchers de soleil et des jolis papillons s'éloignent ainsi d'un langage qui doit être rêvé ensemble, car le poète authentique a une dimension sociale, ouvrière, paysanne : en effet,


« Il sait que les mots sont des grains de maïs

Destinés à gaver des poules tristes ».


L'humilité de ce recueil nous fait penser aux vers d'Octavio Paz, qui déclarait que le langage « était à peine une graine, mais brûlante ». Un langage qui ne doit jamais être une fin en soi, qui ne doit pas devenir le miroir prétentieux dans lequel se complaisent tant d'auteurs, et surtout qui ne doit jamais laisser de côté les lecteurs qui sont « des poètes en congé ».


Ramiro Oviedo nous parle aussi des auteurs et des poètes-boxeurs qui l'ont marqué (Blas de Otero, Juan Carlos Mestre, Nicanor Parra, Brecht, Günter Grass) : ce sont tous des écrivains qui « viennent de la même souche / Celle qui dit Non monsieur » ; on fait aussi allusion à des insurgés comme Sandino, Allende, Mújica ou le Che car l’œuvre de l'auteur de Fauves ou La route du poisson s'est toujours inscrite dans un engagement politique contre l'impérialisme et tout genre d'injustices. Une écriture nourrie par de « lectures Molotov » et qui a toujours voulu expliquer, comme c'est le cas dans le 8e round, que


« Tout le monde croit qu'elle (la poésie) ne sert à rien

Alors que c'est elle qui nous fait voler

Et qui nous fait atterrir »


En définitive, le poète, ce « déclencheur des métamorphoses insolites » n'attend pas des récompenses lors d'une vie où « Il faut être prêt à assumer l'échec ». « Avec la boxe et la poésie on ne joue pas ! », conclut Ramiro Oviedo, qui comme le dit très bien Serge Pey « est incontestablement un nouveau champion qui mord le postérieur de la poésie, contre les parieurs véreux du langage ». Le ring du poète est sans aucun doute une victoire : celle de la parole vraie.


Ramiro Oviedo, Le ring du poète, Éditions La chouette imprévue, Amiens, 2021 

 



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