“Sable” est un livre
consacré aux textures. Non seulement celles des objets -le sable, la
mer, les plantes sur les dunes- mais aussi celles du temps. Or dès
le premier vers
Je n'ai
nul souvenir de l'avenir
nous
entrons dans un temps fuyant, qui échappe à notre toucher et à
notre emprise, où nous allons accompagner la Femme-Sable (union
parfaite, ou plutôt souhaitée, avec le monde) dans la recherche de
sa mémoire.
Les
éléments naturels exercent un pouvoir très évocateur, au delà de
tout stéréotype, et le poète les regarde, les admire avant qu'ils
ne convergent vers le sable qui va tout retenir -objets et temps- tel
un vortex
le sable
aspire ma cheville
aspire ma
mémoire.
L'instabilité d'un tel support est aussi une allégorie de notre
fragilité à capturer le présent, et de ce fait nous sommes plongés
dans un univers où nous ne sommes pas capables de retourner vers
notre passé. Parfois, le sable devient une arène qui est le lieu de
notre perte
lourde
draperie de dunes et d'estran
plis sur
plis où se dissout le vent
du
souvenir.
De même, la mer emporte les mots qui pourraient être les
témoins de notre présence sur terre, même si ceux-ci veulent
rester, balbutiant dans le son des vagues.
Cette Femme-sable, pupille ouverte vers le vide, se veut
sensuelle, ou plutôt gardienne des sens, mais c'est un autre symbole
de la vulnérabilité, car elle tente de lutter contre ce sable qui
ne permet d'établir ni fil, ni trace, et qui semble nous contempler
dans nos efforts absurdes pour conserver l'émerveillement des
paysages du rivage ; il s'en découle la douleur de l'absence :
nos yeux ont la volonté mais on sait que leur vision est faible, que
les objets restent fuyants, en anticipant les tourments à venir. Il
s'agit d'une conception platonique où nous sommes enfermés dans la
caverne (ici, la mer, l'estran, la grève) et le monde et ses objets
ne sont que des ombres qui ne nous permettent que de rêver du réel
de façon très imparfaite.
La souffrance est présente, mais et en même temps elle est étouffée
car perdue dans un labyrinthe végétal et minéral, lutte constante
entre évocations agréables, insinuations d'un passé qu'on devine
ardu (intense et fade dans la mémoire) et un avenir par
définition intangible.
Toutefois, la détermination de l'auteure aspire à prévaloir, dans
un dernier poème où Marilyne Bertoncini essaye de prendre
possession des lieux,
déboule
dévale le long du flanc de Sable
pour affirmer son envie d'écriture comme un cri qui veut être plus
fort que l'oubli. Face à l'écume sèche de la dune, à ce
Sable (in)humain, le poète clôt le livre en nous rappelant le sens
des paroles :
Je crie
J'écris.
Les œuvres de Wanda Mihuleac contribuent à apporter des textures et
des évocations diverses, comme un écho aux textes mais également
comme des objets à part entière qui font partie du livre et de
l'histoire, en voulant peut être rester aussi dans le temps.
Sable, textes de Marilyne Bertoncini, oeuvres de Wanda Mihuleac. Les éditions Transignum, 2019
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