Les textes décrivent bon nombre de situations du monde du travail dans lesquelles on s'amuse à observer les attitudes égoïstes des personnages qui côtoient l'auteur. Ou son propre égoïsme. On plonge ainsi avec délectation dans un univers banal où l'humain est toujours au service du rendement et où les faux-semblants sont de rigueur. Plus de place pour les sentiments: le travail productif est la clé de la réussite.
JE VOULAIS dans ma vie
faire pleurer de joie,
d'enthousiasme, de bonheur, d'euphorie,
d'émotion & peut-être de rage ou de dépit,
de combativité, de motivation & de défi -
mais pas dans
ce bureau anonyme
faire pleurer
de déception à l'annonce
d'une notation moyenne
ou d'une augmentation de salaire
qui ne viendra pas.
Le ton est acerbe et juste. Florent Toniello écrit avec précision et humour (noir), sans jamais avoir recours à la grandiloquence. Ses textes d'une ironie profonde provoquent un décalage salutaire pour apporter un bon bol d'air frais sur la poésie.
Entre séminaires et voyages d'affaires où le superflu semble paraître indispensable et une conscience professionnelle déshumanisante dont l'auto-satisfaction fait froid dans le dos, nous nous régalons en lisant ce portrait d'une partie de nous-mêmes et de notre sociéte. Un miroir sur nos propres attitudes dans lequel il n'y a pas besoin de métaphores ou de figures de style alambiquées: il suffit de suivre l'auteur, comme dans une visite guidée de sa propre entreprise, pour admirer les étincelles de mauvaise foi qui rendent ce portrait si vrai. Avec le risque de découvrir, si on a le courage de s'y regarder, que ce miroir est trop souvent non déformant: la poésie est, dans ce cas, une alarme nécessaire.
Le langage poétique non stéréotypé (on croit parfois lire des rapports financiers) fait mouche d'emblée, et trouve dans chaque texte son objectif en déplaçant ce qui pourrait être le titre du poème dans le corps de celui-ci: quelques mots en majuscules. Comme si on voulait finalement nous transmettre un message caché, tronqué parfois, sur le sens littéraire indéniable de l'ouvrage. Je ne peux pas m'empêcher de suggérer un jeu de mots que j'espère ad hoc pour expliquer que le message implicite semble dire que, pour que la poésie devienne un véritable remède anti-médiocrité, il vaudra mieux s'enrichir avec des strophe-options.
"FOUTU POETE IMPRODUCTIF" de Florent Toniello. Ed. Rafael de Surtis, juillet 2018.
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